La marqueterie « Boulle »

Coffre porte-documents en marqueterie Boulle, 19e siècle, collection L’Egide Antiques®.

Les origines en Europe

Où et quand est née la marqueterie de métaux ? En Europe, cette datation a fait l’objet de controverses et de confusions. Le premier métal utilisé en feuilles minces pour orner des meubles est probablement l’argent. L’idée d’utiliser de l’étain en surfaces semble être née à Paris dans le dernier quart du 17e siècle. La technique fût ensuite développée, par l’ébéniste Jacques Talon (Brevet sous Louis XIV en 1663) mais ce dernier décède rapidement après ses premières livraisons à la couronne.

C’est à Paris aussi que l’emploi de l’écaille de tortue a connu sa naissance et son épanouissement, suivi de près par les Italiens, les hollandais et parfois les Allemands.

Dans ce contexte, ce sera le génie de André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste du roi installé au Louvres depuis 1672, qui fera la synthèse de ces 2 techniques ! La marqueterie Boulle implique l’incrustation de laiton et d’écaille de tortue dans des panneaux d’ébène. Cette technique nécessitait une précision méticuleuse, car les motifs devaient être découpés et ajustés avec une extrême précision. Le résultat était une œuvre d’art qui semblait presque magique, avec des jeux de lumière et des reflets chatoyants.


Commode de André-Charles Boulle, vers 1710-20, Metropolitan Museum of Art, New York, Etats-Unis.

Sans en être l’inventeur, le perfectionnement de la marqueterie d’écaille et de métaux par André-Charles sera si intimement mêlé à son intervention personnelle que son nom lui restera définitivement attaché. La « Marqueterie de Boulle » naît !

Boulle contribuera à décorer les palais et châteaux français, dont le Louvre et Versailles, de meubles fantastiques dans le goût Baroque. Sa maîtrise de la marqueterie en ébène et écaille était extraordinaire, ses meubles et objets étaient reconnus pour leur élégance et leur sophistication, incorporant souvent des motifs complexes inspirés de l’Antiquité classique.

Au 19e siècle


Encrier, porte-plume en marqueterie Boulle, 19e siècle, collection L’Egide Antiques®.

L’influence de Boulle sur le monde de l’artisanat et de l’ébénisterie a perduré au fil des siècles. Sa technique de marqueterie a été largement imitée et admirée, et elle a influencé de nombreux ébénistes et artistes du mobilier au cours des siècles suivants. Les créations de Boulle sont devenues des pièces de collection prisées, et de nombreuses institutions et collectionneurs privés cherchent à préserver et à restaurer ses œuvres.

Au XIXe siècle, de nombreux ébénistes ont été influencés par la technique de marqueterie de Boulle et ont incorporé des éléments de style Boulle dans leurs créations. Citons quelques-uns des ébénistes du XIXe siècle qui ont utilisé la technique Boulle ou qui ont été inspirés par son travail :

1. François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841) : Jacob-Desmalter était un ébéniste parisien renommé du début du 19e siècle. Il a travaillé à la restauration des meubles du château de Malmaison, et certaines de ses créations ont incorporé des éléments de style Boulle, y compris l’incrustation d’ébène et de laiton.

2. Gervais-Maximilien-Eugène Durand (1800-1854) : Durand était un ébéniste français du XIXe siècle qui a produit des meubles de style néo-Renaissance et néo-gothique. Ses œuvres présentaient parfois des incrustations en ébène et en laiton, rappelant la technique de marqueterie de Boulle.

3. Henry Dasson (1825-1896) : Dasson était un ébéniste parisien réputé pour son travail au XIXe siècle. Il a créé des meubles dans le style du Second Empire français, et certains de ses meubles ont incorporé des motifs en marqueterie de Boulle, en particulier des incrustations en laiton et en ébène.


Bonheur du jour en marqueterie Boulle, 19e siècle, collection L’Egide Antiques®.

4. Joseph Cremer (1811-après 1878) : Cremer renouvelle la marqueterie Boulle et le succès est au rendez-vous ! Sous la monarchie de Juillet, Louis-Philippe fera même effectuer des copies de meubles réalisés par Boulle pour la galerie d’Apollon au Louvre. et la mode se poursuit sous le second empire, grâce à des ébénistes comme Cremer et Brandely.

5. Mathieu Béfort (1813-1880), dit Béfort Jeune : il est le deuxième fils du célèbre ébéniste parisien Jean-Baptiste Béfort. Il est établi de 1844 à 1880 à la rue Neuve Saint-Gilles à Paris. Ebéniste-marqueteur spécialisé comme son frère ainé, Bernard, dans la fabrication de meubles Boulle et de bois de rose avec mosaïques et bronzes.

Ces ébénistes du XIXe siècle ont continué à intégrer des éléments de style Boulle dans leurs créations, démontrant ainsi la durabilité de l’influence de la technique de marqueterie Boulle tout au long du siècle suivant.


Double corps de Antoine Delafontaine, 19e siècle, Paris, collection L’Egide Antiques®.

Les créations actuelles

Il est important de noter que l’utilisation de l’écaille de tortue dans la marqueterie Boulle est aujourd’hui sujette à des questions éthiques en raison de la protection des espèces. Les ébénistes modernes cherchent des alternatives durables à l’écaille de tortue pour perpétuer l’art de la marqueterie Boulle tout en préservant la biodiversité.

En conclusion, la marqueterie d’André-Charles Boulle est un trésor du XVIIe siècle qui continue de fasciner les amateurs d’art et d’artisanat. Ses créations exquises et sa technique innovante ont laissé une empreinte durable dans le monde de l’ébénisterie, et son nom reste synonyme de l’apogée de la marqueterie européenne.

Aurélie Di Egidio
L’Egide Antiques à Bruxelles, 29 septembre 2023

Sources :
– « André Charles Boulle (1642-1732), Un nouveau style pour l’Europe », Jean Nérée Ronfort, Somogy éditions d’arts, Paris, 2009.
– « Marqueteries virtuoses au 19e siècle, brevets d’inventions », Marc Maison et Emmanuelle Arnauld, Editions Faton, Dijon, 2012.
– « Reconnaitre la marqueterie Boulle », Frédéric Massie, René Maubert, éditions Adam Biro, Paris, 1990.
– « Le mobilier français du 18e siècle, dictionnaire des ébénistes et des menuisiers », Pierre Kjellberg, éditions de l’amateur, Paris, 1989.
– « Le mobilier français du 19e siècle, dictionnaire des ébénistes et des menuisiers », Denise Ledoux-Lebard, éditions de l’amateur, Paris, 1984.
– Photos crédit : Aurélie Di Egidio pour L’Egide Antiques©.
– Photo crédit, commode de André Charles Boulle: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Commode_MET_DT8914.jpg